jeudi 4 juin 2015

La 86e bougie d'Albert Kalonji

Nous sommes au Congo-Kinshasa, dans le milieu des années 50, des jeunes gens se révoltent face à la brutalité mentale et physique qu’est le colonialisme. Ces jeunes représentent l’élite intellectuelle de leur pays, ils font partis de la première vague de diplômés Congolais que compte le Congo-Belge.

Leur éducation, mais surtout leurs séjours à l’extérieur des frontières congolaises leurs permets de comprendre que quelque chose ne tourne pas rond dans leur situation.

Ils décident alors de prendre leur destin en main. Cette auto-détermination aboutie à la création d’un premier parti politique nationale dans le pays, le Mouvement National Congolais (MNC). Sous cette organe, ils exigent au colonisateur ni plus ni moins que l’indépendance totale et immédiate.

Un membre de cette belle jeunesse s’appelle Albert Kalonji.

Jusqu’en avril 2015, il était le dernier survivant de ces jeunes qu’on appelle aujourd’hui les pères de l’indépendance.

Retour sur un individu polarisant.

D’Albert Kalonji à Ditunga Mulopwe  (1929-2015)

Albert Kalonji était un individu polarisant, les commentaires à son sujet sont aux antipodes. Grand nationaliste pour les uns, tribaliste pur et dur pour les autres. L’histoire tranchera le débat, cette histoire dont il a néanmoins écrit une page. 

Né Albert Kalonji, il décède avec deux noms en plus ; Ditunga Mulopwe. Il hérite du titre  « Mulopwe » à 31 ans quand les chefs coutumiers Baluba du Kasaï oriental décident de faire de lui « le chef des chefs » afin qu’ils les représentent devant différentes instances.

Lors de l’intronisation à ce statut, il y a un certain rituel qui va comme suit ; le nouvel élu est assis sur une chaise alors qu’il est transporté sur les épaules de plusieurs personnes qui effectuent un parcours. À la fin du circuit lorsqu’on le dépose à terre, Kalonji s’exclame « ditunga », signifiant pays en Tshiluba. C’est à partir de ce moment qu’il faudra désormais le présenter comme Albert Kalonji Ditunga Mulopwe.

Allié et rival de Patrice Lumumba

Membre influent du MNC qu’il a rejoint quelques temps après sa fondation, il est l’allié de Patrice Lumumba avec qui il partage les idées. Il sera même de ceux qui mirent d’énormes pressions à la table ronde de Bruxelles afin que Lumumba soit libéré de prison pour qu’il puisse participer aux négociations pré indépendance.

Mais l’animosité ne tarde pas entre les deux hommes au fur à mesure que les événements avancent. Le fond du problème est une guerre de leadership. Dans plusieurs entrevues vidéos et son livre-mémoire la Sécession du Sud-Kasaï, la vérité du Mulopwe, Kalonji règle ses comptes avec le désormais héros national Congolais.

Albert Kalonji écrit qu’il aurait souhaité qu’un congrès au MNC désigne le leader. Selon ses dires, Lumumba n’était qu’un président provisoire, nommé parce qu’il avait plus de temps que les autres. Le Mulopwe reproche à Lumumba et ses proches dont Thomas Kanza et son frère Philipe, d’avoir imposé Patrice Lumumba à la tête du parti.

Kalonji fini par claquer la porte et fonde son propre MNC, le MNC-Kalonji. Quelque temps plus tard, à la tête de cette nouvelle aile, il est chef de l’opposition au premier parlement du Congo post indépendance. Il a en face de lui le premier premier ministre du pays, nul autre que Patrice Lumumba. Kalonji tente alors de faire tomber le gouvernement Lumumba mais il n’en aura pas l’occasion, le parlement ferme ses portes et les parlementaires sont envoyés en vacances. Les raisons de cette fermeture prématurée diffèrent.

1960 : L’année de tous les dangers

1960 fût l’année de tous les dangers pour Albert Kalonji. D’un côté il est impliqué dans les intenses négociations avec la Belgique pour l’indépendance du Congo, de l’autre il est aux premières lignes du conflit Lulua vs Baluba qui s’intensifie au Kasaï.
Ainsi, à peine 40 jours après la proclamation d’indépendance du Congo, Le Mulopwe proclame une autre indépendance; celle de l’état minier du Sud-Kasaï, un territoire de 1,5 millions d’habitants.  

Ses opposants l’accusent de vouloir faire sécession pour s’accaparer à lui seul les richesses de cette partie du pays. L’intéressé se défend en disant qu’il ne cherche qu’à avoir une société autonome où les Baluba pourront vivre en toute sécurité. Kalonji avance que le peuple Luba est persécuté dans tout le pays et même au Kasaï. Il croit que son nouveau pays, le Sud-Kasaï, serait la seule terre où ceux-ci trouveront la paix.

Mais quelques mois plus tard, le conflit Lulua vs Baluba est réglé. Un règlement scellé autour d’un pacte qui maudirait tous les descendants Lulua-Baluba qui tenterait de reprendre les hostilités.

La tentative indépendantiste de Kaloni pris aussi fin, mâtée par la nouvelle armée nationale du pays. S’ensuit l’exile du Mulopwe, d’abord en Belgique et ensuite à Barcelone en Espagne.

L’homme mystique  

Albert Kalonji n’a jamais caché son adhésion à l’occultisme. Il était membre actif de l’ordre de la Rose-Croix (AMORC). En tant que Rosicrucien, il dit avoir appris à devenir une sorte de « surhomme ». Cette dimension surnaturelle l’aurais permis de développer un sens pour prévoir le danger.

La personnalité qui vient de disparaitre était aussi très initiée dans les traditions mystiques de son Kasaï natal. Toujours dans son autobiographie, il raconte avoir complété toutes les étapes d’initiations au titre de Mulopwe, sauf celle du sacrifice humain.

En fait, l’homme est mort comme il a vécu ; dans le mystère. Il est décédé un mois avant l’annonce officielle de sa disparition. Là aussi, il se devait de respecter une autre tradition.

Né en juin 1929, il aurait soufflé ce mois-ci, sa 86e bougie.

Guy-Serge Luboya





  

2 commentaires:

Kalala, un nom qui lui allait si bien